Chapitre 2
Deux semaines ne s’étaient pas écoulées quand je reçus la réponse du 2e classe :
Chère Amélie Nothomb,
Merci pour vos romans. Vous voulez que j’en fasse quoi ?
Happy new year,
Melvin Mapple
Bagdad, le 1/01/2009
Je la trouvai un peu raide. Légèrement énervée, j’écrivis aussitôt cette lettre :
Cher Melvin Mapple,
Je ne sais pas. Peut-être rééquilibrer un meuble ou surélever une chaise. Ou les offrir à un ami qui a appris à lire.
Merci pour vos vœux. Autant de ma part.
Amélie Nothomb
Paris, le 6/01/2009
Je postai ce billet en fulminant contre ma sottise. Comment avais-je pu espérer une autre réaction de la part d’un militaire ?
Il répondit par retour du courrier :
Chère Amélie Nothomb,
Sorry, j’ai dû mal m’exprimer. Je voulais dire que si je vous avais écrit, c’est parce que j’avais déjà lu tous vos livres. Je n’allais pas vous embêter avec ça, c’est pour ça que je ne vous en avais pas parlé ; ça allait de soi. Mais je suis content de les avoir en double et avec vos dédicaces. Je pourrai les prêter aux copains. Désolé de vous avoir dérangée.
Sincerely,
Melvin Mapple,
Bagdad, le 14/01/2009
J’écarquillai les yeux. Ce type avait lu tous mes livres et établissait un lien de cause à effet entre cette donnée et le fait qu’il m’écrive. Cela me plongea dans un abîme de réflexion. J’essayai de comprendre en quoi mes romans avaient pu inciter ce soldat à s’adresser à moi.
D’autre part, j’étais ce personnage ridiculement ravi : l’auteur qui découvre que quelqu’un a tout lu de lui. Que ce quelqu’un fût un 2e classe de l’armée américaine me combla encore davantage. Cela me donna l’impression d’être un écrivain universel. J’éprouvai une grotesque bouffée d’orgueil. Dans les meilleures dispositions, je rédigeai cette épître :
Cher Melvin Mapple,
Désolée pour ce malentendu. Je suis vraiment touchée que vous ayez lu tous mes livres. J’en profite pour vous envoyer mon dernier roman traduit en anglais, Tokyo Fiancée, qui vient de paraître aux États-Unis. Le titre me navre, cela fait très film avec Sandra Bullock, mais l’éditeur m’a affirmé que Ni d’Ève ni d’Adam ne risquait pas de trouver meilleure traduction. Du 1er au 14 février, je serai dans votre beau pays pour en assurer la promotion.
Aujourd’hui, Barack Obama devient le président des États-Unis. C’est un grand jour. J’imagine que vous allez bientôt rentrer et je m’en réjouis.
Amicalement,
Amélie Nothomb
Paris, le 21/01/2009